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Photo du rédacteurEmeline Guerin-Marthe

Traversée du Vercors

Dernière mise à jour : 30 juil.

Bivouac au moucherotte

Du 14-21 juillet 2024



Détails de la traversée

14 Juillet: Arrivée et Première Journée

- Arrivée: Grenoble, 13h40

- Transport: Bus jusqu'à St Nizier de Moucherotte

- Route: St Nizier de Moucherotte → La Moucherotte

- Options de Bivouac:

  - Cabane de la Moucherotte: source d'eau à proximité

  - Cabane des Ramées: suivant l'heure et la motivation, pas de source d'eau

- Dénivelé Positif (D+): 709m

- Dénivelé Négatif (D-): 204m

- Distance: 7,7 km

- Durée: Environ 4h


15 Juillet: Cabane des Ramées – Abri de la Fauge

- Route: Cabane des Ramées → Pic Saint Michel (optionnel) → Abri de la Fauge

- Points d'Eau:

  - La Bulle de Lans: 3 km après la Cabane des Ramées

  - Fontaine de Machiret: 10 km

  - Proche de l'Abri de la Fauge: 500m

- D+: 932m

- D-: 1246m

- Distance: 17 km

- Durée: Environ 7h


16 Juillet: Abri de la Fauge – Abri de la Jasse du Play

- Route: Abri de la Fauge → Corençon-en-Vercors (ravitaillement) → Abri de la Jasse du Play

- Points d'Eau:

  - Corençon-en-Vercors: 6 km

  - Fontaine de Carette: 13 km

  - Proche du refuge sur le GR 91: deux fontaines

- D+: 785m

- D-: 483m

- Distance: 25,2 km

- Durée: Environ 8h30


17 Juillet: Abri de la Jasse du Play - Cabane du Pré Peyret

- Route: Abri de la Jasse du Play → Grand Veymont → Descente par le Pas des Chattons → Cabane du Pré Peyret

- Points d'Eau:

  - Fontaine du Play: départ

  - Fontaine de Bonnevau: 10 km

  - Proximité de la Cabane du Pré Peyret:

    - Fontaine des Endettés: 0,16 km

    - Deuxième source du Pré Peyret: 0,38 km

- D+: 911m

- D-: 902m

- Distance: 15 km

- Durée: Environ 6h


18 Juillet: Cabane du Pré Peyret – Chatillon-en-Diois

- Route: Cabane du Pré Peyret → Chatillon-en-Diois

- Points d'Eau:

  - Départ source des Endettés

  - Source de Baume Rousse: 15 km

  - Chatillon: douche au camping municipal ou bivouac

- D+: 550m

- D-: 1555m

- Distance: 21,6 km

- Durée: Environ 7h30


19 Juillet: Chatillon-en-Diois – Die

- Options:

  - Stop ou bus jusqu'à Die pour reprendre le train

  - Marche via la forêt ou les villages du Diois (équivalents)

  - Route: Abbaye de Valcroissant (à voir)

  - Option 1: Villages:

    - D+: 377m

    - D-: 541m

    - Distance: 19,3 km

    - Durée: Environ 6h

  - Option 2: Forêt:

    - D+: 720m

    - D-: 897m

    - Distance: 16,5 km

    - Durée: Environ 6h


Notes

- Prévoir les courses avant le départ en raison du jour férié et du dimanche.

- Points d'eau identifiés pour chaque journée.

- Itinéraire flexible selon la forme et la motivation.

- Possibilités de bivouac avec options d'eau disponibles.


Jour 1

De Grenoble au Grand Moucherolle


Détail de l'étape:

14 Juillet: Arrivée et Première Journée

- Arrivée: Grenoble, 13h40

- Transport: Bus jusqu'à St Nizier de Moucherotte

- Route: St Nizier de Moucherotte → La Moucherotte

- Options de Bivouac:

  - Cabane de la Moucherolle: source d'eau à proximité

  - Cabane des Ramées: suivant l'heure et la motivation, pas de source d'eau

- Dénivelé Positif (D+): 709m

- Dénivelé Négatif (D-): 204m

- Distance: 7,7 km

- Durée: Environ 4h


Micro-étape pour rejoindre le point de vue qui surplombe la capitale des Alpes. Nous sommes le 14 juillet et, alors que la majorité des Français s’apprête à célébrer la fête nationale avec un bon barbecue et des feux d’artifice, de mon côté, je rejoins Guillaume à la gare de Grenoble. L’attente du bus sous un cagnard citadin étouffant nous motive à faire du stop jusqu’à Saint-Nizier-du-Moucherotte. Sabine, une infirmière psychiatrique, nous transporte sympathiquement jusqu’au départ. Un arrêt à la fontaine pour ajouter un kilo d’eau fraîche au poids du sac et nous attaquons la montée.


Je sens le souffle se faire court et les jambes se raidir sous la pression de ma coquille d’escargot, mais que c’est bon de retrouver cette chaleur et cette sensation de marche au long cours. Se dire que demain il n’y a pas à redescendre dans la vallée, que demain je suivrai juste une ligne sur une carte, un balisage jusqu’où bon me semble sans retour en arrière envisagé, c’est comme le prolongement d’un cheminement de vie.



Zigzaguant dans la pente à travers papillons et lys martagons, poussant sur les quadriceps pour passer à l’étage supérieur de la pyramide de Maslow… Restons terre à terre au prochain belvédère offrant un meilleur panorama que le précédent. Toujours plus beau, toujours plus loin. Et alors que le soleil embrase l’horizon, nous posons le bivouac sur un replat venteux où nous admirons la ville s’illuminer petit à petit. À la nuit tombée, les feux d’artifice explosent dans la vallée tels des pustules sur le visage d’un adolescent. La nuit recouvre le monde et nous tournons notre regard vers les étoiles pour doucement déposer notre fatigue au creux des duvets.



Jour 2

De la Grande Moucherolle à la cabane de Fauge

Détails de l'étape

15 Juillet: Cabane des Ramées – Abri de la Fauge

- Route: Cabane des Ramées → Pic Saint Michel (optionnel) → Abri de la Fauge

- Points d'Eau:

  - La Bulle de Lans: 3 km après la Cabane des Ramées

  - Fontaine de Machiret: 10 km

  - Proche de l'Abri de la Fauge: 500m

- D+: 932m

- D-: 1246m

- Distance: 17 km

- Durée: Environ 7h


Le réveil à 5h du matin me permet de profiter d’un lever de soleil à travers les sapins. Guillaume est parti s’installer un peu plus loin, emporté par le vent de la nuit ; il n’arrivait pas à dormir. Sur le coup, je me suis demandé s’il avait déjà fui l’aventure, mais un petit mot laissé délicatement et ses bâtons en signe de vie m’indiquaient qu’il était encore là. Je prends mon temps avec le lever du jour en lisant mon magazine de philo, prépare mes affaires, range et fais infuser mon muesli pour le petit déjeuner que nous prenons ensemble. Prêts au départ à 8h30, nous entamons la marche enthousiastes, direction le Habert de la Ramée. Mignonne cabane où je rentre sans hésitation aucune avec mes gros sabots et réveille malencontreusement deux randonneurs avec le grincement de la porte. Je me retire sur la pointe des pieds et y dépose le dit magazine : un article sur le cabanisme y avait allumé mon imagination, sûrement que sa présence ici sera appréciée et lue. Nous repartons, animés par des discussions générales sur nos vies et nos goûts communs. Nous avions échangé auparavant sur Instagram et j’avais pensé que nos centres d’intérêts et nos caractères étaient suffisamment compatibles pour supporter 5 jours de marche ensemble. Je ne m’étais pas trompé. Oscillant entre compagnies, bavardage, flânerie et bulle d’air

méditative au gré des rencontres botaniques et ornithologiques, nous déambulions dans le

Vercors en direction du Pic Saint-Michel. Un arrêt de concertation sur l’itinéraire, lequel choisir : par les crêtes ou par la fontaine ? Descendre pour remonter ou rester sur une courbe de niveau supérieur ? Je regarde le niveau d’eau : 50cl, hum, suffisant pour l’itinéraire haut. Le temps que je me remette de mon indécision, Guillaume était déjà parti sur le sentier des crêtes. Je cavale pour le rattraper mais ne croise qu’un couple de retraités évoluant à la vitesse d’un gastéropode bipède.



Dans la montée, Guillaume me rattrape ; je le pensais devant mais la rencontre avec un écureuil l’avait retardé. Nous engageons la pente du Pic Saint-Michel. Elle est tranquille et le rythme lent qui me permettait de ne pas trop faire exploser le cardio dans les Écrins se reprend de lui-même, pas après pas, les mains derrière le dos, ne pas regarder le haut de la pente pour ne pas se décourager, juste avancer et se vider l’esprit. Au sommet, une vue sur les crêtes et toute la chaîne alpine du sud au nord. Je reste un peu sans voix face à cette immensité. Quelques choucas et martinets nous offrent un spectacle de voltige aérienne. Le vent nous fait redescendre par le col de l’Arc assez rapidement pour chercher un endroit où prendre la pause déjeuner et refaire le plein d’eau.

Dans la descente du pic St-Michel

La source de Fond Froide offre un débit assez faible mais présent, nous croisons sur le chemin 3 compagnons randonneurs enthousiastes. Je me dis que j’aimerais les revoir. Ils ont l’air sympathique avec leurs sandales et leur jeunesse. Nous faisons notre pause déjeuner dans l’herbe. Les fourmis ne manquant pas de se ruer sur nos provisions et de nous attaquer les orteils. La sieste attendra un endroit plus propice. La remise en jambes est tranquille, c’est un sentier en balcon jusqu’à la cabane de Roybon. À la fontaine un peu plus haut, nous retrouvons les 3 amis : Sam d’Annecy, Greg et Pierre le Breton de Quimper. Nous remplissons nos réserves aquatiques et nos jauges sociales. Seule, je serais sûrement restée à la cabane pour la soirée, profitant de la compagnie fortuite de cette rencontre. Mais nous avions prévu d’aller jusqu’à l’abri de la Fauge, quelques kilomètres plus loin. Là est toute la différence entre voyager seul ou accompagné. On se laisse moins porter par l’improvisation liée à notre désir égoïste et tenir compte des envies de l’autre fait partie de l’équilibre. Avec ce petit pincement au coeur, je quitte cette rencontre en espérant les revoir dans les prochains jours. Avoir confiance en l’univers, il apporte toujours le nécessaire.


Sur le chemin de l’abri, il y avait la mission toilette de chat et un ruisseau m’offrit l’opportunité de laver deux jours de transpiration et de poussière. C’est quand on se met accroupi, nu dans un ruisseau au milieu de rien, qu’on se sent comme une bête fragile et l’instinct animal ressurgit. Le mien est clairement loin d’être celui tranquille d’un prédateur : je guette attentivement le moindre bruit et mouvement qui trahirait une autre présence. Je retrouve Guillaume à l’abri de la Fauge. Assis sur son banc de bois dans les rayons du soleil de cette fin d’après-midi. Deux jours pour briser la glace, c’est encore bien peu pour nos deux personnalités réservées. Nous restons sur des généralités de deux personnes qui se découvre et des discussions intéressantes le tout parsemé de découvertes botaniques et nature que le Vercors ne manquent pas de nous servir sur un plateau.


Abri de la Fauge

Je me prépare ma purée et même si l’abri ne donne pas vraiment envie de passer la nuit à

l’intérieur, l’humidité ambiante et la flemme me font installer le matelas à l’étage. Guillaume fait des allers-retours tel un chat indécis entre l’intérieur et l’extérieur, essayant de profiter de la lumière tout en échappant aux averses de l’orage. Je ris et je me moque ouvertement. Nous nous endormons dans les crottes de souris et la poussière mais au sec.


Jour 3

Abris de la Fauge - Jasse du Play


Détails de l'étape

16 Juillet: Abri de la Fauge – Abri de la Jasse du Play

- Route: Abri de la Fauge → Corençon-en-Vercors (ravitaillement) → Abri de la Jasse du Play

- Points d'Eau:

  - Corençon-en-Vercors: 6 km

  - Fontaine de Carette: 13 km

  - Proche du refuge sur le GR 91: deux fontaines

- D+: 785m

- D-: 483m

- Distance: 25,2 km

- Durée: Environ 8h30


Naturellement, je ne dors jamais bien en bivouac, et encore moins bien dans une cabane qui sent la poussière. Malgré la fenêtre ouverte, je me réveille à 6h avec les yeux bouffis et la gorge sèche. Je me force à rester au chaud dans le duvet en attendant que mon compagnon de route se réveille. Lui, il rattrape sa mauvaise nuit de la veille. Je l’envie. Vers 7h30, je commence à plier le matériel et descends pour prendre le petit déjeuner. La lumière des matins humides est toujours une des plus belles, et le muesli n’aura jamais eu meilleur goût qu’avec ces couleurs et le chant des oiseaux en fond.


Vers 8h45, nous quittons la cabane en direction de Corençon en Vercors, le dernier point de

ravitaillement avant les hauts plateaux et les deux jours d’autonomie qui nous attendent. Dernier endroit de civilisation où je peux me faire plaisir avec une brioche perdue à la boulangerie et des fruits frais. Même si j’avais prévu des rations de muesli et de purée pour cinq jours, je refais un peu de stock en barres énergétiques pour être sûr de ne pas manquer. Carottes, nectarines, saucisson et fromage feront aussi partie du chargement apprécié ce soir au refuge.


J’en profite aussi pour recharger un peu les batteries du téléphone, mais je sens que ça risque d’être juste. Le port commence à être capricieux, et je fais tomber la batterie externe en la posant sur la prise, ce qui endommage le port USB. On va économiser les photos, et tant pis pour la musique. Même si elle va me manquer, ce sera l’occasion d’apprécier une immersion totale. Peut-être que cette fois, j’arriverai à ne pas ressentir cette urgence de partager sur les réseaux sociaux, cette urgence d’approbation ou de reconnaissance? Ou simplement la joie de partager ce bonheur immédiat qui déborde et dont je ne sais pas quoi faire hormis l’accumuler au fond de moi et le garder au fond du panier.

Nous reprenons notre route après une bonne heure et demie de pause, une bière et un Orangina qui me rappellent Sven et Ewan. Les moineaux se baignent dans la fontaine, et j’adorerais pouvoir rétrécir pour en faire autant. Je me contenterai d’un bref rafraîchissement dans les toilettes du bar.


Les hauts plateaux du Vercors

En longeant le golf, le paysage change. On se croirait dans le Jura, avec des sapins parsemés dans des clairières fleuries. Et une chaleur qui nous fait regretter le vent de la veille. Nous atteignons le 45e parallèle de latitude nord. En suivant cette ligne, je pourrais atterrir dans le parc de Yellowstone ou le delta du Danube. Cette pensée me paraît presque irréaliste et pourtant, l’imagination commence à pétiller. Et si... Je me déconcentre en pensant à un article que j'avais lu, sur un homme qui avait vécu dans une grotte non loin, car les énergies telluriques y seraient beaucoup plus fortes. Je ne m’étais jamais trop penché sur ce genre de sujet avec mon esprit cartésien, mais j’admettais volontiers que l’endroit avait quelque chose de très spécial. C’est d’ailleurs à partir de ce point que nous avons arrêté les sujets de conversation futiles et généralistes visant à dégrossir nos deux personnages. Nous en avions probablement fait le tour, et le croquis méritait d’être travaillé un peu plus en profondeur.


Guillaume me raconte des histoires que j’écoute attentivement, autant d’informations destinées à me donner des indices sur sa personnalité. Je lui renvoie des anecdotes similaires et finalement, il entame les sujets fatidiques du relationnel, de ses émotions, et de ses attentes. J’écoute, donne mon point de vue, partage les expériences tout en gardant autant de distance que les vautours qui planent au dessus de nous. On aimerait pouvoir les voir de près mais il faut savoir admirer le sauvage à la bonne distance pour pouvoir peu-etre l'apprivoiser.


"– On ne connaît que les choses que l’on apprivoise, dit le renard. Les hommes n’ont plus le temps de rien connaître. Il achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n’existe point de marchands d’amis, les hommes n’ont plus d’amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi !
– Que faut-il faire ? dit le petit prince.
– Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t’assoiras d’abord un peu loin de moi, comme ça, dans l’herbe. Je te regarderai du coin de l’œil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras t’asseoir un peu plus près… "

Antoine de St Exupéry - Le petit Prince.


Comme je n’ai pas spécialement envie de m’ouvrir, ni de parler en permanence. Je préfère rester en retrait et marcher un peu plus vite. Nous séparons nos chemins un peu avant la fin de la journée, jusqu’à la cabane. Marcher à son rythme fait aussi du bien et permet de se retrouver face à soi-même et d’apprécier pleinement l’environnement.


Je m’arrête quand j’en ai envie pour observer et sortir le microphone, enregistrer les oiseaux et le bruit des sapins. Les marmottes s’échappent sur le talus d’en face, et les sapins ponctuent le paysage de points d’exclamation tortueux. Je me sens bien ici.


Arrivée au fond d’un petit vallon, un « Léontine » résonne derrière moi et me fait sursauter. C’est Guillaume qui m’a rattrapé. Je n’aime pas vraiment ce surnom qu’il me donne, il me rappelle un personnage de vieille femme aigrie portant des jupes plissées de bonne soeur avec bien trop de poils au menton, source certaine de cauchemars dans les romans enfantins. Mais bon, je le prends comme un trail name. Ça a l’air de l’amuser, alors je souris de le voir sourire aussi.


Cabane de la Jasse du Play

Le toit de la cabane apparaît dans les hautes herbes. Une tente est déjà installée quelques mètres au-dessus. Nous nous arrêtons faire une pause, explorons l’intérieur, hésitons… la source se situe 900 mètres plus haut. Un bivouac près de la source serait intelligent.

François, sur la traversée lui aussi, débarque de nulle part. Son air sympathique me fait sourire. Glanage d’info sur le terrain près de la source, car il en revient. Nous décidons de rester à la cabane. Je pars juste remplir mes réserves d’eau et faire un brin de toilette.

À peine avais-je eu le temps de me débarbouiller le visage et de remplir mes deux gourdes que j’allais bravement commencer à faire tomber le slip, quand je me suis vite ravisée à la vue de deux randonneurs étranges se dirigeant vers moi. Carte IGN à la main, air paniqué, accent hollandais, t-shirts légers et shorts à 20h30. Ça sentait l’égarement de deux brebis parties faire du tourisme.


Je passe un moment à essayer de refaire leur itinéraire et de comprendre d’où ils étaient partis. Katrijn et Brecht, la mère et le fils, m’expliquent qu’ils se sont séparés du reste de la famille et que les patous les ont fait dévier de leur chemin. Sans montre et sans GPS, ils se sont retrouvés à sous-estimer la distance du détour qu’ils avaient envisagé. En effet, pour rejoindre le parking, il leur restait encore quatre heures de marche… et vu l’heure et leur équipement léger, je les invite à me suivre pour passer la nuit dans la cabane. Rejoindre le village le plus proche demain sera le plus sage.


Guillaume et François me regardent, surpris de ma trouvaille, mais rapidement, une solidarité

soude le groupe. François fait le nécessaire pour faire passer un message avec le Garmin, et

l’extra de nourriture de nos sacs leur fera un repas pour le soir et de quoi repartir le matin. Nous donnons nos doudounes et une couverture de survie pour que leur nuit ne soit pas trop un enfer, même si se reposer sur un plancher est loin d’être facile. Ils auront au moins le ventre plein et seront loin de l’hypothermie. Nous n’avions pas prévu de passer une nuit blanche non plus, mais entre les ronflements du père François, les froissements de la couverture de survie et mon matelas qui grinçait plus qu’une vieille porte de château hanté, il était difficile de trouver un créneau pour s’endormir.


Les pensées se sont baladées jusqu’à 6h du matin, entre parenthèses nature et danger de

l’égarement en montagne. Je suis restée vigilante à nos deux protégés belges, à la fois heureuse de les savoir en sécurité et de savoir que nous avions pu faire le maximum nécessaire.



Jour 4

Jasse du Play - Pré Peyret


Détails de l'étape

17 Juillet: Abri de la Jasse du Play - Cabane du Pré Peyret

- Route: Abri de la Jasse du Play → Grand Veymont → Descente par le Pas des Chattons → Cabane du Pré Peyret

- Points d'Eau:

  - Fontaine du Play: départ

  - Fontaine de Bonnevau: 10 km

  - Proximité de la Cabane du Pré Peyret:

    - Fontaine des Endettés: 0,16 km

    - Deuxième source du Pré Peyret: 0,38 km

- D+: 911m

- D-: 902m

- Distance: 15 km

- Durée: Environ 6h


Nous échangeons nos numéros avec Katrijn, lui demandant de me donner des nouvelles pour être rassurée et avoir le dénouement de l'histoire. Et nous les laissons au lever du soleil qui réchauffe l'air frisquet du matin. François ronfle encore comme un bébé. Une halte hygiène rudimentaire à la source, je laisse Guillaume et avance plus loin. Nous nous retrouverons comme toujours. Les habitudes se sont installées et cet épisode belge semble avoir encore plus détendu l’ambiance. Les mésaventures des uns faisant l'aventure des autres, nous nous réjouissons de cette anecdote de voyage. Et cela nous donne matière à discuter d'autres choses que de nous mêmes. Et ça fait du bien!



C'est une petite étape aujourd'hui, au vu de la nuit, nous sommes tous les deux d'accord pour dire que le Grand Veymont se passera de notre point de vue et inversement. L'itinéraire intimiste et ombragé par la forêt me semble beaucoup plus attrayant que la crête surpeuplée sous un soleil du diable. C'est aussi l'occasion de recroiser Athos l’âne et ses

deux compagnons de la semaine. Athos connaît le chemin comme ses besaces. En discutant avec les deux personnes, je confirme mon envie de faire un prochain voyage accompagné d'un animal.


Cette journée est réservée à la contemplation et aux pauses : 15 km, c’est vite passé et pour en profiter, il faut s’arrêter souvent. Pour une ombre sur un rocher, pour un chant d’oiseau, pour une fleur inconnue dans une clairière accueillante. Chaque endroit propice à la rêverie est une belle excuse et une ode à la lenteur. De l’observation du monde naît la beauté. Et pas après pas, je remplis ce réservoir de bonheur comme le panier à bisous imaginaire de mon enfance. Une pause à l’ombre pour le midi, un lâcher-prise assis sur cette souche en ayant la sensation d’être un tout et un rien. De n’être qu’une enveloppe assise sur ce bois mort. Comme si mon corps appartenait déjà au passé et que le présent ne pouvait être perçu que par un état de transe difficilement palpable. J’ai eu en cet instant une pensée très étrange : nous, les morts d’aujourd'hui, marchons sur les os des cadavres de la vie.


Toute matière en ce monde serait soumise à cette loi de l’impermanence, même la pensée.

Surtout la pensée. Et sur cette réflexion, je sortis de ma bulle, percutée par l’enceinte Bluetooth de quatre jeunes marcheurs qui diffusaient de la musique. Je rejoins Guillaume qui, lui aussi, était perdu dans ses pensées. Je pars devant, laissant à mon compagnon de route le temps de rassembler ses affaires et ses esprits, la cabane du Pré Peyret n’est plus très loin. Les chemins sont roulants et faciles, pas besoin de réfléchir où poser le pied. Et c’est parfait pour admirer les paysages.


Arrivée au refuge, un bref coup d’oeil à l’intérieur, au livre d’or et aux petits mots qui sont toujours un plaisir à lire. La Fontaine des Endettés réserve la surprise de faire converger tous les randonneurs à 10 km à la ronde. Sûrement la fontaine d’eau douce avec le plus grand magnétisme du Vercors. À la queue leu leu avec sa bouteille ou sa poche. Il faut attendre que le goutte à goutte remplisse le récipient de ce précieux liquide vital. Les oiseaux, les bouquetins, la faune et les insectes font partie des assoiffés locaux aussi. Tous se rafraîchissent à la même écuelle.


Une pause dessin en attendant de monter le bivouac. J’observe le manège des vas et viens à la fontaine. Des randonneurs se cachent derrière les sapins pour faire un brin de toilette ou soulager une envie pressante sans se douter qu'à quelques mètres plus loin, je fais part à Guillaume de mes plus belles observations avec un sourire hilare en les montrant du doigt. Une sieste. Un repas. Et j’écoute le bruit de la forêt : les brebis sont en train de rentrer vers la bergerie et le berger est visiblement à bout de nerfs, ses insultes résonnant dans le fond de la vallée. Courageux métier que celui-là. J’apprendrai plus tard grace à Malo, une jolie rencontre pleine d'émotions faite à Chatillons, qu’une meute de huit loups est établie sur le plateau. Dix patous surveillent les différents troupeaux, mais j'imagine que ce n’est pas du repos tous les jours.



Quand j’annonce à Guillaume que demain je vais sûrement partir tôt et que si il n’est pas réveillé au pire du pire on se retrouvera à Chatillons, je décèle un mélange de surprise et de déception. Jusqu'ici, je ne m’étais pas trop formalisée sur l’heure du départ, mais demain est une longue journée et une des plus chaudes. D’autant plus que je n’ai plus qu’un litre d’eau car ma poche Platypus s’est percée et plus de téléphone non plus. Je ne comptais pas traîner jusqu’à 8h30 avant de partir. J’ai parfois du mal à exprimer clairement mes raisons du pourquoi, car moi-même, je ne me les formule pas, je navigue à l’instinct. Et cela m’emmerde profondément de me justifier.

Nous discutons un peu, je lui assure que ça n’a rien contre lui et nous nous mettons d’accord

pour voir demain.


Jour 5

Pré Peyret - Châtillon-en-Diois


Détails de l'étape

18 Juillet: Cabane du Pré Peyret – Chatillon-en-Diois

- Route: Cabane du Pré Peyret → Chatillon-en-Diois

- Points d'Eau:

  - Départ source des Endettés

  - Source de Baume Rousse: 15 km

  - Chatillon: douche au camping municipal ou bivouac

- D+: 550m

- D-: 1555m

- Distance: 21,6 km

- Durée: Environ 7h3


La nuit calme était bien plus reposante que la précédente. Même si je sens la dette de sommeil s’accumuler. Trente minutes après avoir ouvert les yeux, j’entends le réveil de Guillaume. À 6h30, je gigote dans mon duvet et commence à plier bagage tranquillement. Je pars en avant, et il me rattrapera bien. La double ration de purée d’hier soir me gonfle encore l’estomac et me fait sauter le petit déjeuner. Les lumières du matin glissent magnifiquement sur les herbes du chemin et les oiseaux, tout égayés par les premiers rayons, jouent la ritournelle sans fin de cette belle vie de volatile.



Malgré ma poker face et mon humeur constante, je suis contente de le savoir à quelques

kilomètres derrière et je sais que lors de la prochaine pause, je le verrai apparaître avec son

chapeau de paille. Le sentier est facile et bien balisé, mais ça m’enlève une petite anxiété de

savoir qu’il a accès à une ressource cartographique. Je vais pouvoir faire quelques photos de plus et profiter des derniers pourcentages de la batterie pour immortaliser ces moments.

Une dernière discussion passionnée sur le thème du mensonge et du sentiment amoureux nous a emmenés dans un vortex temporel et nous a fait perdre le balisage du sentier pour nous retrouver presque face au mur du Mont Aiguille. Forcément, les thématiques évoquées me ramenant à mes multiples échecs sentimentaux, je ne pouvais que me perdre sur une pente émotionnelle aussi humide que les herbes que nous traversions. Et même si retrouver le fil d'Ariane rouge et blanc du GR fut chose aisée, cette brèche réouverte me laissa morose pour la fin de la journée.


Les chaussures faisant un bruit de splosh, je m'arrête un moment pour les enlever et continuer pieds nus, histoire de sécher les pieds mais aussi de reconnecter avec la terre. Une pause dans la dernière montée pour dévorer les dernières barres de céréales et finir de sécher les chaussures. Nous observons la valse des vautours au-dessus du vallon. Et les papillons, adeptes de sueur et de matière peu recommandable, ne lâchent pas les chaussettes. Et cette rencontre adorable avec ce bonhomme au sac bien trop chargé mais que nous n’avons jamais rattrapé car il semblait marcher sereinement vers nulle part.



Nous continuons et le chemin ne semble pas avoir de fin le long de ces crêtes. La vue sur le Mont Aiguille et les hauts plateaux est de plus en plus belle. Le terrain calcaire fait le bonheur des edelweiss et des asters. Nous nous arrêtons pour une pause avant la descente et le retour à la civilisation. Contempler le monde vu d’en haut. À l’horizon, s’étalent l’Ardèche et la Drôme, et je peux facilement imaginer le chant des cigales dans les pins.


Sceller cinq jours de marche et une belle rencontre avec des larmes partagées, c’est une grande première pour moi. Je crois qu’aucun de nous deux n’avions envie de clôturer cette aventure et pourtant il le fallait. C’était une bulle d’oxygène qui était nécessaire à nos vies, pour nos raisons personnelles. S’échapper du quotidien est parfois nécessaire pour le supporter. Nous avons accepté que ce périple se clôture ici, avec cette vue incroyable et les choucas qui bavardaient autour de nous.



La descente du plateau s’est faite sous une chaleur étouffante. Heureusement que la source était encore disponible et le retour sur Châtillon apprécié car j’ai pu dévaliser le glacier. Nous avons retrouvé François au camping. Nous avons finalement clôturé ce périple tous ensemble au restaurant, avec en bonus un orchestre dans le bar d'en face jouant un air de 'reviens-y'. Le tout assaisonné de ravioles à la bonne humeur et de blagues de randonneurs, comme une symphonie gourmande et joyeuse ! Bref, une belle recette de bonheur.

Le Vercors aura été un séjour immersif placé sous le signe du partage et de la pleine conscience.

Et on n'aurait pas choisi meilleur décor pour deux perchés comme nous.

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